Call of Duty : World War II
- Merlin Maxwell
- 14 juin 2020
- 6 min de lecture
On ne commence pas dans l'action immédiate mais dans la cale du bateau menant les troupes américaines en Normandie, par le biais d'une longue cinématique permettant de présenter les quatre personnages principaux (qui en sortiront tous les quatre vivants) dont celui incarné par le héros. Ils jouent aux cartes, parlent du pays, mangent un peu, jusqu'au moment où ils sont appelé par le haut-gradé s'imposant d'office comme une figure de l'autorité menaçante et sans pitié pour débarquer sur le champ de bataille.

Quelques moments plus tard et c'est le débarquement comme on l'a déjà vu cent fois, la progression difficile sous les balles et les explosions permanentes, la prise des bunkers de la plage par l'équipe de personnages principaux et la victoire soldée par de très lourdes pertes.
L'une des scènes suivante nous montre deux soldats : Zussman (le meilleur ami du personnage incarné) est blessé, le haut-gradé lui dit que sa blessure mettra des semaines à guérir, il lui répond qu’il a sa parole pour ne pas faillir au combat, et le haut-gradé finit par lui dire que ses mots n’ont aucune valeur. On retrouve à la fois le principe de « ce qui compte ce sont les actes, pas les promesses », mais aussi un renvoi à l’humanité et à la fragilité des soldats, ce qui est surprenant pour un jeu de cette licence. La conversation se termine sur « tu as des tripes, jeune recrue, j’ai juste pas envie de les voir » : les traits d'esprit de ce genre sont plutôt nombreux.
Daniels (le joueur) monte dans un tank, où a lieu une conversation entre les recrues sur le fait que les allemands soient bons ou pas (étant donné qu’ils passent devant un charnier de corps de soldats allemands à ce moment-là) : ils évoquent Mozart et Marlène Dietrich et ont un débat interrompu par l’arrivée de bombardiers allemands qui tuent les trois-quarts des effectifs et détruisent les tanks en moins de deux secondes. On remarque la présence d’un soldat hispanique dans les rangs américains, il y en aura d'autres, ainsi qu'un soldat afro-américain au poste de caporal. On retrouve une mention constante de sa « différence » et la dernière scène où il apparaît sera celle où les autres personnages reconnaissent sa valeur en tant qu'homme, allant même jusqu'à dire « je m'étais trompé à ton sujet », prouvant un racisme assumé qui passe par ce que disent les soldats, me laissant très perplexe sur le pourquoi du comment.
L'impression d'immersion est très présente, surtout dès la deuxième mission où l'on passe toute la partie à traîner Zussman blessé avec nous, la camaraderie est extrêmement poussée contrairement à tous les autres opus où il ne fallait compter que sur nous-même (et sur le haut-gradé) : les deux soldats échangent tout au long de la séquence, pour se donner du courage et s’enjoindre à poursuivre (on entend le personnage incarné dire « I got you » au moins trois fois).
Juste après l'avoir confié au personnel médical, c'est à nouveau l'enfer : la progression le long de la plage de la mission est entrecoupée de camarades tombant sur des mines et prenant feu sous les yeux impuissants du joueur. On apprend que le soldat incarné vient du Texas, terre des républicains. Au cours des missions, on constate que l'approbation du supérieur et des autres soldats est un élément très important : dès que l'on touche une cible ou qu'on remplit une mission on a droit aux gentilles remarques des autres (mais l'inverse est également valable : si on joue mal ou pas très rapidement, ce sont des insultes qui fusent).
Ils appellent toujours les allemands « les boches » tout au long de la partie, ça n'a pas changé.
Les deux personnages principaux (Daniels et Zussman) semblent très proches et ont plusieurs conversations mettant en scène le côté humain des soldats, le questionnement de l'autorité, leurs différences de point de vue (notamment sur la religion, l'un est athée et l'autre juif) et leur amitié indéfectible : ils n'hésitent pas à exprimer leur désapprobation des ordres des supérieurs, à prendre des décisions (comme par exemple sauver des civils allemands) et à tenter de rapporter un peu « d'humanité » à la guerre.
On retrouve dès la première scène du jeu, ayant lieu dans la cale du bateau menant les soldats aux plages de Normandie, une certaine idéologie chrétienne : Zussman (qui est donc juif) parie avec Aiello (je vous mets leurs noms pour que l’on puisse mieux s’y retrouver) sa médaille de SaintMichel, patron des soldats, et la gagne pour ensuite la porter jusqu’au moment où il se fait capturer par les nazis et envoyé dans un camp de travail (le dernier quart du jeu consistera à aller le sauver), le personnage incarné par le joueur retrouvera la médaille lorsque Zussman se fait capturer (en y réfléchissant, on pourrait penser que cette médaille incarne pour les scénaristes une allégorie de la salvation) et la portera à son tour jusqu’au moment du sauvetage héroïque. Lors de la dernière séquence, Daniels voudra la rendre à Aiello qui refusera en avançant que Zussman en « aura bien plus besoin » que lui, il la lui rendra donc avant de rentrer au Texas pour retrouver l’immanquable figure de la fiancée enceinte attendant au pays, et les derniers mots qu'il prononcera seront « to the end » et adressés à son camarade sauvé du camp de travail grâce à lui.
Ces trois mots seront d’ailleurs un point central de la relation entre Daniels et Zussman, puisqu’ils seront répétés par l’un et l’autre au moins à cinq moments différents (dans un mode scénario qui ne comporte que onze séquences), comme un vœu ou une promesse, justifiant leurs multiples sacrifices pour l’un et l’autre (Zussman se prend un couteau dans l’abdomen pour sauver Daniels, celui-ci renonce à son ordre de fin de mission et à sa médaille de l'honneur pour aller le chercher dans le camp de travail…) : cette relation de co-dépendance est également symbolisée par le gameplay. En effet, Zussman est l’entier garant de la barre de vie du héros étant donné qu’il est le seul à posséder et à pouvoir partager ses packs de vie (c’est la première fois que cette spécificité de la barre de vie apparait dans un Call of Duty, avant il suffisait de se mettre à couvert pour regagner automatiquement de la vie et on ne voyait aucune barre à l’écran), sa présence est rendue complètement obligatoire et utile par cette compétence. Celle-ci est également un moyen de retranscrire une certaine forme de camaraderie et d’interconnexion entre les membres de la même équipe. Chacun des trois membres de l'équipe ayant sa spécificité pour le joueur à un moment du jeu (ou tout le temps dans le cas de Zussman), et cette particularité a été grandement mise en avant dans la promotion du jeu ainsi que les articles de presse publiés peu de temps après la sortie du jeu.
« Experience a wartime story of perseverance and brotherhood. » (Twitter officiel de Call of Duty, 23 octobre 2017, quelques jours avant la sortie du jeu)
« Nos studios voulaient proposer leur vision actuelle de ce conflit, explique Michael Sportouch, vice-président Europe d’Activision Blizzard, l’éditeur du jeu. Notre premier épisode remonte à plus de dix ans, et il y a une grande différence entre ce que l’on pouvait proposer à l’époque et aujourd’hui. Et puis, toutes nos études et tous nos échanges avec la communauté ont montré qu’il y avait une forte demande sur le sujet. »
« Cette guerre présente des gentils et des méchants très identifiés, plus que la Première Guerre mondiale, grâce à la figure du méchant par excellence : les nazis, souligne David Peyron, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication. Il n’y a pas besoin de les présenter, on sait par essence que ce sont les ennemis et toute violence est justifiée contre eux. C’est quelque chose que l’on retrouve dans de nombreux films sur la guerre ou dans Indiana Jones. »
De nombreuses critiques ont été faites sur le traitement des camps de concentration dans ce jeu, étant donné que l’on sauve Zussman dans un camp de travail pour soldats et qu'ils ne sont autrement jamais mentionnés. Le fait qu’il soit juif n’est pas découvert par les nazis, il a donc un traitement similaire aux autres soldats, et tandis que la promotion du jeu promettait une immersion émotionnelle et réaliste, on se rend compte lors de la mission finale que le camp est entièrement vidé et qu’il n’y a aucune trace de ce qui a eu lieu dedans, juste une potence dans un coin, Zussman sera lui-même plus loin dans la forêt. Aucune mention des camps n’est faite dans tous les autres FPS sur le sujet de la seconde guerre mondiale.
Le travail de reconstitution de la seconde guerre mondiale a été beaucoup mis en avant, des historiens étaient présents sur chaque étape de la conception du jeu, la documentation a été fournie (notamment photographiquement) et les personnages principaux sont tous basé sur des soldats ayant réellement existé, ils ont d'ailleurs les mêmes noms.
Mais ils ont dû faire face à un désintérêt général du public pour le mode scénario et une assez mauvaise réception en général : seulement 30% des joueurs ont fait le scénario, la presse leur a fait beaucoup de critiques lapidaires.
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