Call of Duty : Modern Warfare III
- Merlin Maxwell
- 14 juin 2020
- 5 min de lecture

L’extrême rapidité des informations présentées dans l’introduction provoquent une incapacité à tout capter du premier coup, apportant directement une ambiance stressante et la sensation anxiogène d’être déjà en retard dans le déroulement de l’action. Le choix de voir des éléments « gores » ou non est proposé dès le début : en réponse aux critiques sur la violence ? Au cas où des enfants ou des personnes sensibles joueraient ? L’utilité de cette option me paraît très limitée étant donné la suite des événements du jeu et la présence absolument constante de la violence et de scènes graphiques.
La façon dont le jeu est conçu fait en sorte que l’on y meurt très aisément : en général, ne pas suivre les directives ou se laisser surprendre par manque de réflexes ou d’attention est synonyme de mort immédiate mais, en contrepartie, l’on peut survivre à des explosions spectaculaires et même à la chute de la tour Eiffel.
Le chemin extrêmement linéaire des actions ne permet qu’un parcours unique possible, à tel point que cela se sent très facilement lorsque le joueur est sensé suivre un groupe : il n’y a qu’une seule manière de le faire (et s’il en dévie même quelques secondes c’est la mort systématique et le renvoi au dernier point de sauvegarde).
Pourquoi ? A mon avis, pour proposer un apprentissage inconscient de la discipline : obéir aux ordres est en général ce qui sauve la vie du joueur qui se voit accompagné dans chaque mission par une figure autoritaire plus haut gradée et ce qui permet la cohésion d’une équipe jusqu’au succès commun et désintéressé. Par ailleurs, en contrepartie, le joueur assiste à une mention constante de son individualité en tant que soldat ; « il ne suffit que d’un seul homme pour changer le monde » nous dit une voix grave et masculine à la fin de l’introduction, venant clore la surcharge d’informations sorties de leur contexte par quelque chose auquel le joueur pourra se raccrocher durant la partie.
Dans la suite directe de cette idée, le joueur peut être un très bon soldat en ne connaissant rien des tenants et des aboutissants du conflit en lui-même et en ne faisant que suivre les ordres à la lettre.
Le jeu permet d’incarner plusieurs nationalités et plusieurs « factions » ayant chacune un rôle différent dans l’histoire, ce qui pourrait sembler plutôt juste et retirer le côté purement américain que possédaient les premiers Call of Duty, mais dans les actions proposées en fonction des pays, l’on remarque des particularités :
- lorsque l’on incarne un russe pour la première fois, l’on se retrouve dans la peau d’un garde du corps sensé protéger le président de l’attaque d’une faction extrémiste également russe : pas même un vrai soldat, du coup le joueur se retrouve sous-équipé et sans aide étant donné qu’il n’y a que trois autres gardes du corps. De toutes manières la mission doit forcément rater, le président se fait enlever et le personnage incarné finit par se prendre une balle dans la tête.
- lorsque la mission a lieu à Sierra Leone, en Afrique, l’on remarque plusieurs particularités : l’absence totale de civils à protéger (le début de la mission consiste à regarder une scène d’exécution de civils locaux et à ne pas réagir) Le sens profond de ce choix de scène m’échappe, d’autant plus que si l’on essaye d’intervenir on meurt automatiquement et que l’équipe attaque les preneurs d’otages quelques secondes après les avoir laissé exécuter les civils… Quel message est ici véhiculé ? Que certains sacrifices sont « nécessaires » ?
Le pays est en lui-même montré comme sale, sauvage, poussiéreux, dénué de forces armées locales, sans aucune femme, enfant ou infrastructure. Les ennemis à combattre avancent à visage découvert (contrairement aux pays « civilisés » où les ennemis sont le plus souvent masqués ou en tous cas ne sont pas en short et tee-shirt et armés de machettes) et sont plus nombreux mais moins forts. Sincèrement, cette mission m’a donné envie de vomir tant elle était raciste.
La suite du jeu voit l’utilisation d’attaques simultanées à l’arme chimique aux quatre coins du monde par la Russie (qui s’oppose directement et ouvertement à la demande de paix des États-Unis dont on entend parler plus tôt) : la Russie veut clairement envahir le monde entier, justifiant à partir de ce moment du jeu le fait que la fin justifie tous les moyens (destruction massive, ignorance des civils, torture…) même de la part des « gentils », les américains.
Ce turning-point, qui a lieu environ à 1h30 du début du jeu, est mis en scène de manière spéciale : l’on incarne un père de famille américain en vacances avec sa femme et son jeune enfant à Londres faisant un film amateur (la caméra remplace dans le gameplay l’habituelle arme) juste avant qu’une bombe positionnée à côté d’eux n’explose et les tue sur le coup, la caméra servant ainsi de regard extérieur sur la panique qui s’ensuit et les cadavres de la famille.
Cette scène permet de remettre en contexte l’idéal altruiste de la protection du peuple (américain) par la force militaire : l’on y incarne encore une fois un homme blanc et sa famille républicaine, leur mort est dramatisée (alors qu’en Afrique la mort des civils sur l’estrade était tournée de manière à ne provoquer aucune émotion) et sert de base au désir de vengeance sous-jacent dans le reste de la partie (appuyé également par la mort de la figure paternelle du héros, elle aussi extrêmement longue et théâtralisée).
Pourtant, le reste du temps, les camarades mourant durant la mission ne sont jamais mentionnés, ou de manière positiviste (par exemple, le joueur et son supérieur sont les seuls à avoir survécu à la fin d’une mission dans le métro et lorsque l’on retrouve ce dernier, il dit simplement « il ne reste que nous deux maintenant » et ne parle à aucun moment des autres soldats de son équipe). Les soldats ne communiquent jamais entre eux à part pour se donner des informations directement liées à ce qu’il se passe « à toi de jouer » ou « ennemi à 10h », absolument rien de personnel, les faisant passer pour une masse interchangeable et informe ne permettant aucun attachement personnel. L’attachement se fait finalement plus aux nationalités qu’aux personnes, aucune émotion n’est créé lorsqu’un des protagonistes meurt, seuls quelques personnages-clef comptent et justifient le sacrifice de tous les autres. On peut d’ailleurs tuer tous les animaux rencontrés sur le chemin (poules, chiens) sans aucun problème ou remarque de la part des autres personnages.
On assiste également à un oubli volontaire des femmes (la seule figure féminine militaire rencontrée en trois heures de jeu est une voix de femme par la radio servant à transmettre les ordres au héros n’apparaissant que le temps de deux phrases) qui n’ont pas d’intérêt à être représentées dans une histoire typiquement masculine où la rapidité d’action, le courage et le leadership sont les plus importantes valeurs. La fille du président russe est la seule femme présentée à l’écran, elle ne sert que d’appât à enlèvement, de poids pour son père et de moyen de pression dans un conflit qui ne semble même pas la concerner et sur lequel elle n’a absolument rien à dire.
C’est une dynamique rencontrée dans la plupart des jeux vidéo de guerre, répondant directement à la place donnée à la femme par les républicains : la femme attend le héros patiemment en s’occupant du foyer et des enfants et sa mention ne sert qu’à apporter réconfort et espoir au vrai personnage important : l’homme blanc, le héros.
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